Ăa y est, enfin, câest le jour J. Le jour dont nous rĂȘvions, assis en tailleur dans notre petit appartement madrilĂšne depuis des mois maintenant. Aujourdâhui, nous allons gravir la mythique montagne qui surplombe la ville du Cap : Table Mountain.Â
Nous avons posĂ© le pied en Afrique du Sud depuis deux jours et nous vagabondons inlassablement dans les rues de la ville du Cap, le nez pointĂ© vers les hauteurs du grand plateau qui surplombe mer et terre. Il est difficile de louper cet Ă©difice naturel qui fait la beautĂ© et le charme de cette ville portuaire qui reprĂ©sentait la capitale parlementaire du pays.Â
Grimper sans téléphérique : pas comme ces flemmards !
Nous avons suffisamment attendu, nous sommes en pleine forme et lâĂ©pais brouillard qui nous a fait rebrousser chemin la veille sâest enfin dissipĂ©. De bonne heure, nous embarquons Ă bord de notre petite Volswgen blanche pour gravir les premiers lacets de la montagne. Une gourde par personne, de la crĂšme solaire, deux casquettes⊠Le compte est bon.Â
MalgrĂ© notre dĂ©part matinal, lorsque nous approchons du parking aux alentours de 8h30 du matin, une longue file de petites voitures, presque toutes identiques, serpentent dĂ©jĂ la route des derniers virages qui mĂšnent au tĂ©lĂ©phĂ©rique. Nous nous garons tout en bas et donnons une piĂšce de monnaie au sud-africain auto-chargĂ© de surveiller les vĂ©hicules pendant lâabsence, plus ou moins longue, des touristes. Nous en profitons pour lui demander lâentrĂ©e de la voie piĂ©tonne qui mĂšne au sommet. Nous nous Ă©tions mis dâaccord, hors de question de cĂ©der Ă la tentation dâemprunter la montĂ©e mĂ©canique.Â
Il nous indique un passage en terre, trĂšs Ă©troit, bien en-dessous de la file des paresseux qui attendent, des heures durant, une maigre place dans la cabine. Nous nous mettons en route, sourires aux lĂšvres. Nous commençons presque en courant puis ralentissons, dĂ©jĂ bien attaquĂ©s par la forte pente et le soleil brulant. Nous buvons, repartons. Nous sommes seuls. ComplĂštement seuls. Nous nous en rĂ©jouissons, bien sĂ»r. Les nombreux blogs nous avaient prĂ©venus que lâascension Ă©tait trĂšs touristique et que pour une expĂ©rience originale et naturelle, mieux valait choisir un autre treck. Aussi, nous ne pouvons nous empĂȘcher de nous poser quelques questions mais stoppons rapidement nos interrogations en riant : nous sommes les seuls courageux, voilĂ tout.Â
ArrivĂ©s en haut de la premiĂšre montĂ©e, le chemin se tord vers la gauche. Une langue plate et caillouteuse nous fait passer sous de larges blocs de pierres, Ă lâombre, alleluia. Il ne nous reste dĂ©jĂ presque plus âdâeau mais dâaprĂšs nos calculs nous devrions arriver dâici une heure. Ce sera largement suffisant. Sauf queâŠ
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Oh oh: câest pas normal ça.
Sauf que, depuis presque quarante minutes nous ne montons pas. Nous avançons, presque Ă plat, sur ce chemin de moins en moins tracĂ©. Nous passons sous le fil tendu du tĂ©lĂ©phĂ©rique et nous dirigeons vers lâautre cĂŽtĂ© de la montagne. Toujours aucun signe de vie. Il fait chaud, nous nâavons plus dâeau. Nous refusons de rebrousser chemin et continuons, de moins en moins sĂ»rs de notre itinĂ©raire. Pourtant, nous nâavons jamais croisĂ© dâintersection.Â
Nous basculons doucement vers lâautre flan de montagne, il fait un peu moins chaud et de larges tĂąches dâombres nous offrent un peu de rĂ©pit. VoilĂ que nous descendons⊠Bizarre bizarre.Â
Soudain, nous entendons des voix. TrĂšs lointaines au dĂ©but, elles semblent se rapprocher. Ou serait-ce nous qui nous rapprochons ? La pente douce nous permet dâaccĂ©lĂ©rer le pas, curieux de savoir si nous sommes bien seuls sur cette route escarpĂ©e. Au dĂ©tour dâun virage, nous nous stoppons net. Les blogs ne mentaient pas, une file discontinue dâindividus monte pĂ©niblement la cĂŽte qui nous fait faceâŠNous nâavons pas commencĂ© au bon endroit. Au moment oĂč nous retrouvons le âbon cheminâ qui dĂ©bute une cinquantaine de mĂštres plus bas, nous avions dĂ©jĂ plus de 4 kilomĂštres dans les pĂątes, il fait une chaleur presque intolĂ©rable et nos gourdes sont belle et bien vides.Â
Mais nous ne nous dĂ©courageons pas. Nous remĂ©morant les aventures de Mike Horn, nous nous remotivons, comme poussĂ©s par une Ăąme de guerriers fraichement nĂ©e. Nous nâallons pas abandonner ici. Le panneau de bois indique quâil nous reste trois kilomĂštres, nous avons donc fait plus de la moitiĂ©.Â
Nous entrons dans la danse, entre un couple de quinquagĂ©naires habillĂ©s en tenue de randonnĂ©e dernier cri et une famille dâespagnols qui avancent en musique. Les premiĂšres minutes sont compliquĂ©es mais une atmosphĂšre Ă©lectrifiante pousse la foule Ă se dĂ©passer. De nombreux mots dâencouragements fusent entre les touristes, dans toutes les langues. Nous doublons les espagnols et continuons notre montĂ©e Ă bon pas. Il fait vraiment chaud et aucune parcelle dâombre nâest en vue. Assise sur le bas-cĂŽtĂ©, une jeune maman donne le sein Ă un nourrisson vĂȘtu dâun pantalon Ă poches et ornĂ© dâun chapeau de Bush Man. Le pĂšre, Ă cĂŽtĂ©, a reposĂ© le porte bĂ©bĂ© et crache ses poumons en buvant des litres dâeau. La chanceâŠ
On ne lùche rien et on grimpe !
ArrivĂ©s Ă mi pente, nous nous accordons une longue pose, assis sur un large galet plat, les jambes dans le vide, se balançant lĂ©gĂšrement. Le panorama est magnifique et nous nous amusons Ă analyser les diffĂ©rents types de randonneurs qui nous rattrapent peu Ă peu : Une famille sportive, en combinaison moulante uniforme, le pĂšre en tĂȘte. Un groupe dâĂ©tudiantes blondes, pipelettes et souriantes, peu pressĂ©es dâarriver au sommet. Un monsieur dâune soixantaine dâannĂ©e, avançant tranquillement et sâaccordant de nombreuses pauses, des Ă©couteurs visses sur les oreillesâŠ
PoussĂ©s par notre soif insoutenable, nous nous remettons en route. Les derniers lacets sont les plus difficiles. Nous nâavons plus dâĂ©nergie, il est presque midi et nous nâavons toujours rien avalĂ© de la journĂ©e. Nous pensons, des Ă©toiles dans les yeux, aux sandwichs laisses dans le coffre de la voiture. Nous qui pensions ĂȘtre descendus pour le dĂ©jeunerâŠÂ
Sur la derniĂšre ligne droite, nous sommes motivĂ©s par les quelques inconscients qui entament leur descente, sous le soleil de plomb. âIl ne vous reste que 20 minutesâ âplus que 10 minutes et vous arrivez au sommetâ âallez, un dernier effort, ça vaut le coupâ.
FatiguĂ©s, nous nous mettons dâaccord, nous redescendrons en tĂ©lĂ©phĂ©rique. Nos jambes ne nous portent plus et nous sommes complĂštement dĂ©shydratĂ©s. Nos estomacs grondent.Â
Lorsque nous posons le pied sur la premiĂšre pierre du large parterre qui orne la montagne en un long et large plateau naturel, nous exultons. Nous avons rĂ©ussi ! AprĂšs un (trĂšs) rapide coup dâĆil a la vue, nous nous prĂ©cipitons vers la cafĂ©tĂ©ria. Les trĂšs prĂ©cisĂ©ment 7 minutes dâattente qui prĂ©cĂ©dĂšrent la premiĂšre gorgĂ©e dâeau fraiche nous parurent une Ă©ternitĂ©. La valeur du temps est vraiment quelque chose de subjectifâŠ
La consécration
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Assis sur des chaises en plastique, nous ne parlons pas et nous contentons de boire, de manger, de re-boire. Quel bonheur. Et câest seulement le ventre plein que nous nous rendons compte du panorama qui sâoffre Ă nous. Ă 360 degrĂ©s, la ville du Cap et la mer Ă perte de vue sâĂ©talent sous nos yeux Ă©bahis. Nous sommes loin dâĂȘtre seuls mais, les yeux perdus dans cette immensitĂ©, nous planons, en apesanteur au-dessus de la foule. Un vent de libertĂ© grisant nous a traversĂ©, une sensation que nous ne sommes pas prĂȘt dâoublierâŠÂ
RevigorĂ©s, rafraichis et fraichement repu, nous nous ravissons devant la longue queue formĂ©e devant les portes coulissantes du tĂ©lĂ©phĂ©rique. Nous descendrons a pieds, comme prĂ©vu. Ăa aurait Ă©tĂ© dommage de payer le prix fort pour redescendre alors que le plus dur Ă©tait fait non ?
Les jambes encore tremblantes de lâexercice du matin, malgrĂ© les deux heures de pause, nous nous engageons sur le chemin escarpĂ©. Dire quâa descente est plus simple que la montĂ©e est un euphĂ©misme. Nous seulement la pente est Ă lâombre et les visiteurs beaucoup moins nombreux, mais la beautĂ© de la descente rĂ©side Ă©galement dans les engorgements lancĂ©s aux randonneurs en fin de course comme autant de mains les poussant vers le sommet. Nous ne mettons quâune heure et demie Ă descendre et rejoignons notre voiture, Ă©puisĂ©s. Nous avons chaud et nous mettons donc en route pour une baignade improvisĂ©e sur notre plage favorite : Camps Bay…
TĂ©moignage des Consomm’acteurs : Valentine et Jean Baptiste, qui rĂ©alisent un tour du monde Ă©cologique Ă la rencontre dâacteurs de lâĂ©conomie circulaire.